VOYAGES INTÉRIEURS

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Le but de la voie

757 Lumière rose
757 Lumière rose

Quel est le but de la voie ? Atteindre l’éveil ? Pour échapper à la souffrance et au samsara* ; par compassion pour aider les autres ; pour transmettre l’enseignement ; pour participer à l’évolution du genre humain ou de la nature ? Ou bien pour rien, pour la beauté de la chose, pour faire causer les sots (les egos) ? Puisqu’il n’y a personne qui suit la voie et qui atteint l’éveil, ce n’est qu’une illusion ; pas plus qu’il y a des êtres à aider, un enseignement à transmettre ou un genre humain qui pourrait évoluer. Simplement pour abandonner toutes les illusions ! Il n’y a pas de but, mais seulement un processus (impermanent, impersonnel et vide) de causes et de conditions interdépen­dantes qui s’enchaînent inlassablement, sans nous demander notre avis, et encore moins notre aide et notre soutien. Il faut laisser ce processus suivre son cours, sans intervenir ; ni l’accepter ni le rejeter, ni le juger, ni le manipuler, juste laisser les choses couler naturellement, et couler avec elles, être un avec elles. Ainsi, il n’y a pas de frictions, pas d’effort, pas de souffrance. Quoi d’autre ? Tout le reste est inutile, superflu, et toujours insatisfaisant et douloureux !

Être comme le dragon de bronze dans l’étang d’Hosshin-ji*, qui jour et nuit crache de l’eau : comment pourrait-il dire quelque chose ou partir en nageant (ou en volant) ? Alors, à quoi bon penser !

Quel est le but de la voie ? Y a-t-il vraiment un but ou est-ce une illusion ? Est-ce qu’il n’y a que des causes ? Les buts sont des illusions créées par l’ego pour se prouver qu’il existe et qu’il agit selon son bon vouloir, selon des buts et des motivations qu’il choisit ; mais ce n’est pas le cas ! Quand il agit, il ne fait que suivre des causes et des conditions sur lesquelles il n’a aucune juri­diction. Comme il ne peut jamais atteindre les buts illusoires qu’il se fixe, la souffrance, l’insatis­faction qui en résulte est la cause d’autres buts, d’autres motivations, d’autres quêtes, et le cercle continue : la ronde du samsara. Les buts, les motivations, les quêtes sont les désirs dont parle le Bouddha : ils sont la cause de la souffrance (Deuxième Noble Vérité*). La cessation de la souffrance, c’est cesser d’avoir des buts, de chercher quelque chose, de projeter un devenir dans un futur fantôme qui n’existe pas et n’existera jamais. Et la voie, c’est simplement être en accord, en harmonie avec la nature, avec les choses telles qu’elles sont, ici et maintenant, parfaites en elles-mêmes. Et pour être parfait avec elles, en elles, il suffit de couler avec elles, au lieu de désirer qu’elles soient autrement et se fixer des buts ou des motivations égoïstes, insensées et illusoires…

C’est pourquoi, dans la voie, il n’y a pas de but à suivre, rien à chercher ou à atteindre, mais des causes, l’ignorance et l’insatisfaction (dukkha), et les douze liens de la chaîne d’interdépendance* qui les séparent. Comprendre ces causes, c’est mettre fin à l’ignorance et à l’insatisfaction ; alors, il n’y a plus de voie illusoire à suivre : c’est l’illumination !


Samsara (pali) : littér. transmigration perpétuelle. Désigne le cycle des renaissances – le monde conditionné dans lequel nous vivons – qui, tant que nous n’en avons pas perçu la nature illusoire et le considérons comme la seule réalité, est comparé par le Bouddha à un océan de souffrance.

* Hosshin-ji : monastère zen de l’école soto situé à Obama, sur la côte nord-ouest du Japon. L’abbé, Harada Sekkei Roshi, accueille volontiers les étrangers, moines et laïques, ce qui m’a permis d’y participer à plusieurs sesshins (retraites de méditations).

* Quatre Nobles Vérités : ce sont les Vérités de la souffrance, de l’origine de la souffrance, de la cessation de la souffrance et de la voie conduisant à la cessation de la souffrance, ou Noble Voie Octuple. Les Quatre Nobles Vérités sont considérées comme la base de l’enseignement du Bouddha et sont reconnues comme telle par tous les bouddhistes.

* Chaîne d’interdépendance (pali : paticcasumuppada) : la loi de l’interdépendance – de l’origine conditionnée et interdépendante de tous les phénomènes – est, avec l’impersonnalité, un des fondements de la doctrine bouddhique. La loi de l’interdépendance est une des lois de la nature, à savoir que toutes choses – qu’elles fassent partie de l’environnement, de la société, de l’individu ou de l’esprit – sont interconnectées et ont entre elles des relations causales. Cette loi est généralement exprimée sous la forme d’un enchaînement de douze maillons – dont chacun est la conséquence du précédent et la cause du suivant – qui conduisent de l’ignorance à l’apparition de la souffrance. Le premier, l’ignorance, et le sixième, le contact (entre les organes et les objets des sens) sont les deux niveaux où il est possible de s’échapper du cycle de la souffrance et de l’existence conditionnée.

 

6 mai 1993, Hosshin-ji

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