VOYAGES INTÉRIEURS

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Choix ou nécessité

776 Lumière rose

776 Lumière rose

L’enseignement d’Éric Baret* est fascinant, et en même temps très simple et évident. Je crois que c’est ce qui m’avait déjà séduit en lisant son livre, Le seul désir, dans la nudité des tantra. En même temps, il est provocateur, car complètement à l’opposé des croyances et du bon sens populai­res. Il semble que les origines du shivaïsme du Cachemire soient semblables à celles du dzogchen*. Le dzogchen est maintenant exprimé dans le jargon bouddhique, mais je pense que l’essence est la même. Il s’agit de voir que tout ce qui surgit est une création de l’esprit à laquelle on s’identifie et on s’attache : c’est la source de la souffrance. Ainsi, la cause des problèmes est toujours soi-même, et non les circonstances extérieures. Il faut donc observer ce qui surgit dans le présent, et le laisser partir, se dissoudre dans la vacuité, dans la tranquillité. 

Les techniques pour y parvenir, dans le yoga d’Éric Baret, sont l’observation du corps, de ses tensions et douleurs, comme vibrations. Elles sont peut-être un peu plus variées et sophistiquées dans le dzogchen. Je pense à celui de Namkhai Norbu* plus qu’à celui de Sogyal Rinpoché : yoga, danse, chant, etc. Mais les pratiques du Vijñana Bhairava Tantra sont assez similaires à celles des tantras* du dzogchen. Quant à l’appliquer directement aux circonstances de notre vie, cela me sem­ble moins évident. Je comprends comment gérer les conflits avec d’autres personnes en voyant ce qui réagit en moi, mais ce que je ne saisis pas encore, c’est comment gérer mes propres doutes : que faire ? où aller ?

Si on n’a pas de choix dans la vie, pourquoi ai-je autant de difficulté à faire des choix, ou ce qui me semble être des choix ? Si j’attendais les demandes extérieures pour faire des choses, je ne ferais pas souvent quelque chose ! Peut-être que ce serait mieux… Attendre la nécessité fonctionnelle ? Est-ce vivre comme un saddhu, ou un clochard ? Pourquoi peindre, écrire, lire, suivre des stages, s’il n’y a pas d’intention, de motivation, de direction, de préférence ? Pourquoi aller ici plutôt que là ? Ainsi, faut-il simplement rester où l’on est ? La motivation est-elle l’insatisfaction, l’ennui, la lassitude ? Sans doute. Dans mon cas, de trouver mieux, de trouver une perfection, un bonheur, un accomplissement illusoire dans le futur. C’est donc un espoir, la pire des nourritures, selon Éric Baret ! 

Dans un lieu : le confort, la paix, la beauté ; dans un travail : l’autosatisfaction, puis la reconnais­sance d’autrui, l’approbation, l’idée d’aider ou de servir. Pour les lieux, si on enlève ces exigences, tous les lieux sont appropriés ; et alors, dans la mesure du possible, on choisit en fonction de ses préférences, sans oublier que rien n’est parfait… Pour le travail, il y a également les préférences, mais d’abord les nécessités de soi et de son entourage, qui dépendent aussi du lieu. Donc, est-ce le choix du lieu qui doit précéder celui de l’activité, ou l’inverse ? Selon les cas, certains lieux vont demander certaines activités ; et inversement, certaines activités vont être plus propices en certains lieux – ville ou campagne, par exemple. Dans mes activités (peinture, écriture), le lieu n’est pas primordial au niveau de la création, qui est solitaire. Le problème, mon problème, est la commer­cialisation, parce que je décide que c’est un problème, que j’ai envie d’être reconnu. Mais si je peignais seulement pour le plaisir ou le besoin essentiel de peindre, comme Van Gogh, ce ne serait plus un problème. 

Il est vrai que quand je peins, ce n’est pas en fonction d’un spectateur extérieur (peut-être un peu quand même). Il faut d’abord que cela me plaise à moi. C’est pour trouver cette harmonie, cet équilibre, cette beauté, cette joie, cette tranquillité intérieure, qui est reflétée dans l’œuvre exté­rieure. C’est cela la vraie motivation : trouver ma propre harmonie intérieure, qui alors s’exprime à l’extérieur. Ce que les autres y voient ou en font est leur problème. Le message est dans l’œuvre, dans mon attitude intérieure, qui s’exprime extérieurement, mais sans intention d’un message. Est-ce la même chose pour l’écriture ? Sans doute. Mais la tendance à vouloir faire passer un message existe plus facilement… Est-ce un écueil ? Ainsi, faut-il exprimer un ressenti intérieur plutôt qu’un message mental ou conceptuel ? Le conceptuel n’est alors qu’un prétexte au jeu des mots, comme le sujet dans la peinture ; et on en arrive à une écriture plus poétique, qui transmet la beauté, l’harmo­nie, plutôt qu’un message ou un enseignement. Alors, la beauté et l’harmonie sont l’enseignement. C’est la transmission de l’être, de l’énergie, de l’essence de l’artiste, plus que la forme de l’œuvre qui importe ; comme la présence du sage, mais manifestée dans une forme extérieure à lui… Le reste est sans doute superflu… Donc, trouver un lieu beau et calme, où je puisse créer, et cesser de me soucier du reste. Pour cela, Chiang Mai est pas mal ! Et un local pour entreposer tableaux et livres…

 

En attendant de trouver le courage – ou la sagesse – de m’en séparer ! (27-7-2019)


* Baret (Éric) (né en 1953) : disciple de Jean Klein, Éric Baret enseigne le shivaïsme tantrique du Cachemire. Il est devenu mon principal maître spirituel depuis notre rencontre en 2002.

Dzogchen (tibétain) : littér. la grande perfection. Doctrine de l’école nyingma du bouddhisme tibétain, introduite au Tibet au huitième siècle par Padmasambhava. Ses adeptes considèrent le dzogchen comme un enseignement secret du Bouddha et comme le niveau suprême de tous les enseignements bouddhiques.

* Norbu (Namkhai) (1938-2018) : maître tibétain du dzogchen

* Tantra (sanscrit) : littér. tissu, relation, ensemble. Dans le bouddhisme, ce terme désigne les textes de base du vajrayana et les pratiques qu’ils décrivent. Dans la tradition indienne, le tantra a pour thème central l’énergie divine, ou énergie vitale, sous la forme de Shakti, divinité féminine et épouse de Shiva. La voie du tantra préconise, au lieu de se purifier en rejetant les passions, d’utili­ser leur énergie et de la transmuter en sagesse. Toutes les activités humaines participent du tantra. C’est l’actualisation du pressentiment du silence et de la tranquillité dans la vie de tous les jours. Si les symboles sexuels et certaines pratiques sexuelles appartiennent à la tradition tantrique, la con­notation sexuelle que les Occidentaux attribuent systématiquement à toute pratique tantrique est abusive.
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14 août 2003, Grans

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