Méditation
Dans la méditation, j’ai remarqué deux choses. D’abord, si mon dos est bien droit, je suis moins distrait par des pensées discursives que s’il est voûté ou effondré, et je parviens plus rapidement à me concentrer. Dans la marche méditative également. Ensuite, lorsque j’entre dans le samadhi*, la nature reprend le contrôle de mes agrégats* avec plus ou moins de force. C’est comme une sorte de vent qui me traverse ; parfois, c’est même un typhon qui semble tout balayer à l’intérieur. C’est une sensation plutôt agréable et sécurisante : je me sens soutenu, assisté ; il n’y a plus de peur à avoir : on sent qu’on fait partie de la nature. Il y a toujours une partie de soi, essentiellement inconsciente, qui est contrôlée par la nature ; mais dans les états de samadhi, on sent que cette partie augmente : soit on devient conscient de certaines choses jusque-là inconscientes, soit on lâche prise de certaines choses jusque-là contrôlées par l’ego. L’illumination complète, c’est quand l’ego disparaît totalement : notre être est entièrement mené par le flux de la nature. Tout ce que nous faisons est spontanément en accord avec le flux et les lois de la nature, sans réaction ni blocage de notre part. Cet état est alors permanent ; même si, pour l’instant, je n’en ai que quelques aperçus fugitifs. À ce moment-là, on n’a plus besoin de rien, plus de sécurité illusoire à défendre, on peut finir sa vie comme Ajahn Buddhadasa*, assis sur un petit banc, entouré de chiens et de poules, distribuant de sages paroles aux gens qui passent par là. C’est quand même pas mal : plus de soucis, comme les plantes, pas affectées par les turpitudes du monde.
* Samadhi (pali) : concentration. Dans un sens général, c’est la focalisation de l’esprit sur un objet, qui, même faible, est un phénomène mental associé à toute conscience. La concentration est la condition essentielle de toute méditation. Il existe différents degrés d’intensité de la concentration, dont les plus élevés permettent d’accéder aux absorptions méditatives (jhanas). Ce terme est souvent utilisé pour désigner la méditation du calme, et aussi pour désigner le calme de l’esprit obtenu par la méditation.
* Agrégat (pali : khandha) : khandha signifie agrégat, tas, ensemble. Les cinq agrégats sont, selon les bouddhistes, les cinq grandes catégories – ou ensembles d’éléments – qui constituent l’être humain. Il s’agit de l’agrégat matériel : le corps (rupa), et des quatre agrégats mentaux : la sensation (vedana), la perception (sañña), les formations mentales (sankhara) et la conscience (viññana).
* Buddhadasa (Ajahn) (1906-1993) : ordonné moine à l’âge de vingt ans, Ajahn Buddhadasa fonda en 1932 le monastère de Suan Mokkh, qui fut le premier monastère de la forêt dédié à la méditation dans le sud de la Thaïlande. Son dernier projet, dans les années 1980, fut d’établir à Suan Mokkh un centre international de Dharma qui organise régulièrement des cours et des séminaires sur le bouddhisme et des retraites de méditation. Ajahn Buddhadasa fut, avec Ajahn Chah, un des maîtres thaïlandais les plus influents du vingtième siècle. J’ai eu la chance de suivre son enseignement de 1988 à 1993.
10 novembre 1989, Suan Mokkh International