Réincarnation
Pour moi, observateur situé à Tahiti, la lune s’est couchée à 4 h 45 ce matin, le 27 septembre 1985. C’était comme une sorte de mort, et elle va renaître, si ce n’est déjà fait, ce soir, juste avant le coucher du soleil. Et pourtant la lune ne cesse d’être, en permanence ; mais nous ne la percevons que quand elle est dans la portion du ciel qui nous entoure et quand elle est éclairée par le soleil. Nous avons l’impression qu’elle naît et qu’elle meurt, mais, comme nous observons ses phases depuis toujours, nous savons quel est son mouvement et quand elle reviendra. Il en est de même pour le soleil et les principales étoiles connues. Certaines, comme les comètes, reviennent tous les cinquante ou cent ans, avant de disparaître à nouveau.
Peut-être que notre vie est pareille : une apparence matérielle quand elle est éclairée par une certaine lumière, la vie, qui naît et meurt. Puis nous continuons d’exister dans une zone non visible et non éclairée pendant un certain temps, avant de renaître. Le tout est de reconnaître le retour d’une même créature. Car la lune ne change pas de façon visible entre ses apparitions, si ce n’est que nous voyons une fois un croissant, une fois une demi-lune, une fois une pleine lune, mais nous savons que c’est toujours la même lune. Si elle n’apparaissait qu’une fois tous les trente ans, et que nous voyions une fois un croissant et une fois une pleine lune, nous ne comprendrions peut-être pas que c’est la même lune, si l’observation n’avait pas été faite avant nous pendant des siècles. Mais pour l’homme qui naît comme un bébé et meurt comme un vieillard, il est difficile de reconnaître le vieillard dans le bébé qui renaît, et cela ne se produit qu’une fois par génération. Et si l’enfant n’a pas de souvenirs de sa vie antérieure, qui pourrait le reconnaître ?
L’âme, ou la partie de l’être qui se réincarne, n’est pas visible pour nos sens, nous ne voyons que son apparence matérielle, et son comportement peut suggérer un être qui a vécu dans le passé. Nos sens ne perçoivent pas non plus ce qui se passe entre la mort et la naissance, alors qu’elle perçoit parfaitement la forme matérielle visible qui existe entre la naissance et la mort. La matière de notre corps perdure pourtant, elle se décompose à nos yeux, se transforme et se réintègre dans d’autres êtres vivants. Les électrons, par contre, restent toujours vivants : c’est la réincarnation selon Jean Charon*. Mais si on considère la réincarnation selon les Tibétains, il y aurait quelque chose qui se sépare du corps matériel, une entité qui contiendrait la conscience du mort, et qui irait se placer dans un embryon, quelque temps, peut-être plusieurs années, après. Y a-t-il alors un peu de matière, au moins quelques électrons, qui passent d’un être à un autre ? Ou cette entité garde-t-elle une certaine « vie » et, par sa volonté propre, va-t-elle se réincarner à un certain endroit ?
Peut-être qu’une fois morts physiquement nous continuons à vivre dans cette entité qui contient notre essence, et continuons à hanter ce monde, mais d’une manière non perceptible pour nos semblables (à quelques exceptions près), car l’esprit n’habite plus un corps matériel. Comme lorsque la nouvelle lune traverse le ciel sans que nous la voyions. Ce qui est curieux, c’est que si nous continuons à vivre une vie d’esprit conscient après la mort et jusqu’à une nouvelle naissance, nous ne nous souvenions pas de cette période après notre naissance, alors que nous pourrions nous souvenir de nos vies antérieures. Peut-être que ces souvenirs sont stockés dans une autre mémoire, une autre conscience que celle du monde des sens et des phénomènes qui nous préoccupent entièrement pendant notre vie terrestre et nous masque la conscience plus subtile de notre esprit immortel. Est-ce celle-là qu’on pourrait retrouver par le yoga, la méditation, l’illumination ?
27 septembre 1985, Faaa (Tahiti)