Dans une vidéo en anglais, Éric Baret* dit que la non-dualité (l’advaïta* vedanta) est faite pour les gens intelligents : on y parle du Soi et de la Pure Conscience – de l’absolu en somme ; mais on ignore, ou on rejette même complètement, le relatif – il n’existe pas, puisqu’il n’est qu’une illusion mentale. Le tantra* (le shivaïsme tantrique du Cachemire), au contraire, s’adresse aux gens stupides : il ne parle pas des mêmes notions abstraites et abstruses, mais de la vie quotidienne, de tous les petits événements qui nous réjouissent ou nous perturbent, et il ne rejette rien. C’est là que se trouve le travail à faire, pas dans les hautes élucubrations métaphysiques. Son approche pragmatique, comme celle du Bouddha, est ce qui me plaît chez Éric Baret (par rapport à certains maîtres de la non-dualité).

La voie tantrique est-elle plus complexe que la voie védantique ? La manifestation plus com­plexe que l’absolu ? Dans un certain sens peut-être – du moins en apparence – mais ils sont insépa­rables ; et l’essence des choses est à trouver au cœur des choses, précisément, de la manifestation, du relatif. Je pense que c’est cela le secret. Il ne suffit pas de contempler l’absolu en attendant la grâce, car la grâce est au cœur de l’ombre, et si on ne traverse pas celle-ci par la contemplation – l’écoute d’Éric Baret – on ne la trouvera jamais ; car cela signifie qu’on la recherche à l’extérieur, dans l’au-delà, au lieu de la voir ici et maintenant, dans ce qui se manifeste dans l’instant. 

La vacuité est dans la forme… même si la forme est vacuité !

* Baret (Éric) (né en 1953) : disciple de Jean Klein, Éric Baret enseigne le shivaïsme tantrique du Cachemire. Il est devenu mon principal maître spirituel depuis notre rencontre en 2002.

* Advaïta vedanta (sanscrit) : une des principales écoles de l’hindouisme, appelée aussi non-dualité, qui affirme que le monde (maya) est une illusion et qu’il n’y a pas de différenciation entre l’individualité (l’âme individuelle, atman) et la Totalité (Brahman). Exposée au 8éme siècle par Adi Shankara, la doctrine de l’advaïta vedanta s’est fait connaître en Occident au 20ème siècle sous l’influence de Ramana Maharshi, et elle est enseignée aujourd’hui par de nombreux maîtres occidentaux.

* Tantra (sanscrit) : littér. tissu, relation, ensemble. Dans le bouddhisme, ce terme désigne les textes de base du vajrayana et les pratiques qu’ils décrivent. Dans la tradition indienne, le tantra a pour thème central l’énergie divine, ou énergie vitale, sous la forme de Shakti, divinité féminine et épouse de Shiva. La voie du tantra préconise, au lieu de se purifier en rejetant les passions, d’utili­ser leur énergie et de la transmuter en sagesse. Toutes les activités humaines participent du tantra. C’est l’actualisation du pressentiment du silence et de la tranquillité dans la vie de tous les jours. Si les symboles sexuels et certaines pratiques sexuelles appartiennent à la tradition tantrique, la con­notation sexuelle que les Occidentaux attribuent systématiquement à toute pratique tantrique est abusive.

14 avril 2015, Chiang Mai